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Zeelig, démoniste démonologue.

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Zeelig, démoniste démonologue. Empty Zeelig, démoniste démonologue.

Message  Zeelig Ven 16 Oct - 8:30

Zeelig, démoniste démonologue, fille de démonistes.

Genèse


« Tu seras démoniste, ma fille ». Comme si le choix n’était pas un luxe qui lui était accessible. « Tu seras démoniste et poursuivras la voie que tes ascendants ont pris avant toi et, si les forces qui dirigent ce monde et les autres le veulent bien, tu iras encore plus loin que nous dans cette voie ».

Zeelig n’avait jamais vraiment partagé la façon de penser ni la façon de voir de ses parents. Elle aimait à croire que sa destinée serait seul le fruit de ses propres décisions et que rien d’extérieur ne viendrait la conduire, comme on conduit une vache au pré. Elle était à l’âge où chacun se croit prêt à changer le monde. Et ses parents étaient à l’âge où l’on n’a de cesse que d’étouffer les joies et les espoirs de sa descendance trop émotive. C’est pourquoi, aujourd’hui comme tant d’autres jours par le passé, Zeelig pleurait. Elle pleurait de devoir sans cesse affronter les phrases assassines de ses père et mère qui claquaient comme des coups de fouet ou comme le marteau d’un juge ; c’était ainsi : le jugement fort et irrévocable. Zeelig emprunterait leur voie derrière eux, de gré ou de force. Elle pleurait aussi pour la beauté de la chose. Elle pleurait sans raison, elle pleurait pour pleurer. Et surtout, elle pleurait parce qu’elle le pouvait encore. A en croire ses deux anciens, viendrait un sinistre jour où toutes les larmes de son corps auraient souillé le sol et abandonné son corps aride. Et elle avait peur ; cette peur d’affronter son avenir qui se dessinait sans elle, son avenir que d’autres décidaient. Son avenir dont elle ne voulait surtout pas. Elle aurait préféré rejoindre de son plein gré la Légion Ardente plutôt que d’être poussée de force vers les ténèbres de la démonologie.



Thomas et Julie, parents naturels de Zeelig, ne parvenaient pas, même avec les années qui passaient, à comprendre le point de vue de leur fille, qu’elle se refusait à modifier d’un iota. La passion noire qui les animait représentait tout, pour eux. C’était la vocation d’une vie, ou de deux. C’était toute une carrière, une destinée, une Voie avec un sens quasiment religieux et mystique. Ils étaient leur art davantage qu’ils n’étaient eux-mêmes. Cet engagement, peut-être, pouvait effrayer l’enfant. Mais quel engagement sérieux ne l’aurait pas effrayé ? Elle avait l’âge de déraison, celui auquel on croit pouvoir vivre d’eau fraiche et d’air pur, de n’être cerné par aucune contrainte du monde matériel, libre de penser, de vivre et d’agir comme on veut. Le comble était que pour s’affranchir de cette réalité que Zeelig considérait si négativement, elle n’avait qu’à embrasser l’art de la démonologie. Elle verrait alors que les limites matérielles du monde n’étaient pas si impossibles à franchir. Il suffisait d’un peu de maîtrise.



La jeune Zeelig avait d’abord écouté les arguments de sa mère, sagement, patiemment, pendant bien des années. Elle écoutait comme s’il s’était agi de préceptes, de dogmes à apprendre par cœur, à assimiler jusqu’à ce qu’ils formassent son opinion propre et personnelle. Il était arrivé un moment où la coupe avait débordé. Zeelig n’avait plus envie d’entendre Julie parler de cette façon si particulière des nombreux avantages à pratiquer la magie sombre. Il y avait quelque chose de terriblement effrayant dans son ton, comme s’il quelqu’un d’autre, ou quelque chose d’autre, parlait à travers elle. Comme si son esprit était en berne et qu’un marionnettiste l’animait à sa place. Cela non plus n’était pas pour rassurer Zeelig.

Alors qu’elle profitait de sa solitude, enfermée dans un réduit aux dimensions de gnome, elle imaginait ses parents œuvrer en silence, en souffrant, dans le hangar, dans la forêt. L’activité de bricolage que son père avait développé il y avait de cela quelques années – cela semblait être des siècles – s’était transformée en passion au sens le plus strict du terme et avait même fini par gagner sa mère. Ils passaient la majeure partie de la nuit là-bas, loin de la maison, dans cet entrepôt qu’ils avaient édifié de leurs mains. Pourquoi eux-mêmes ? Pourquoi si loin ? Dans le but d’abriter quel genre de mystères ? La jeune fille n’en avait aucune idée et, au fond, préférait ne jamais le savoir. Ils prétendaient toujours « travailler ». Elle les soupçonnait de se livrer à quelque magie indicible, de pratiquer des rituels interdits, voire même dangereux ! Pourtant, l’unique fois où elle avait osé s’approcher du bâtiment, elle avait effectivement entendu ce qui pouvait être du bricolage. Scie, clous, marteau, poulie, grincements de bois, cisèlement, et souffrance de deux corps épuisés. Elle n’avait pas voulu en savoir plus, préférant garder comme ultime impression celle de croire ses parents honnêtes. Au fond d’elle-même, une partie de sa conscience voulait remettre en doute cette honnêteté. Une partie curieuse et sournoise de sa conscience, et malsaine, aussi. Zeelig, elle, préférait se contenter de ça même si elle avait tort. Elle était rentré à la maison promptement, sans se retourner. Ce n’est qu’une fois arrivée chez elle qu’elle se rendit compte qu’elle était couverte de sueur.

Une sueur froide.



Le temps passait sans que la situation ne s’améliorât. Zeelig commença à songer de quitter concrètement sa famille lorsque le danger vint sur elle, ce qui arriva au cours d’une nuit d’été.

Le temps était au beau fixe dans les Paluns depuis près de quatre mois. L’été se faisait long, sec et douloureux pour la région. Même les marais du couchant étaient méconnaissables. Les parents de Zeelig, eux, passaient le plus clair de leur temps dans la fraîcheur du sous-bois voisin, au nord-est, par delà la rivière. Fréquemment, de gros nuages noirs venaient s’amonceler au large, menaçaient toute la plaine mais finissaient par se dissiper. La future démoniste devait profiter de la fraîcheur du soir pour faire le chemin en charrette jusqu’à Menethil pour réunir de quoi vivre, seule, chez elle. Julie et Thomas avaient peu à peu pris un tel détachement avec les choses de la vie que leur fille se devait de survivre par elle-même. Ce en quoi elle se débrouillait très bien. À Menethil, elle se sentait plus heureuse que nulle part ailleurs. Elle se sentait, en cet endroit, libérée du regard et de la destinée de ses parents. Peu de gens la connaissaient en ville puisqu’elle n’y avait jamais été emmenée. Dans la famille, visiter le port de Menethil ne figurait pas parmi les priorités. Là, elle avait même rencontré un garçon. Davantage un homme, en fait. Un jeune elfe de la nuit à l’âme voyageuse et avide d’aventures, un esprit vif et aussi intrépide qu’elle aurait souhaité l’être elle-même. Ils avaient lié connaissance au point qu’il l’appelait Zee, de cette façon propre à lui seul. Il n’y avait que dans sa bouche que le z se faisait doux chuintement plutôt que sifflement strident. La nuit, chez elle, plutôt que de se morfondre sur son sort et celui, déjà scellé, de ses anciens, elle s’imaginait sa vie future avec son compagnon.

La lune commençait presque à disparaître quand des bruits de chahut la tirèrent de son songe à demi éveillé. Elle se redressa, droite dans son lit. Il pouvait s’agir tout aussi bien de ses parents que de voleurs peu scrupuleux. Les temps étaient durs pour tous en cette saison. Les cultures se raréfiaient et la crainte de l’avenir, davantage qu’une véritable famine, forçait les gens à agir différemment qu’à l’accoutumée. Cependant, quelque chose de viscéral indiquait à la jeune fille que ses parents n’étaient pas la cause de tout ce raffut. Tendant l’oreille, elle distingua plusieurs voix, masculines pour la plupart, ainsi que des éclats de rire étouffés. Son sang se figea dans ses veines et elle eut presque du mal à se lever et à marcher jusqu’à la salle commune où les braises de la cheminée n’éclairaient que très faiblement la pièce. Son corps pesait une tonne et ses membres semblaient devoir geler complètement dans la minute qui suivait. Les visiteurs étaient visibles, par intermittence, entre les planches branlantes de la porte d’entrée. L’éclat d’une lune sur le déclin se reflétait dans quelque sombre regard qui envoyait comme des éclairs dans la maison. Zeelig commença à avoir réellement peur. Peur pour sa vie. Elle percevait quelque chose d’indéfini là, au dehors, et de malsain. Terriblement familier, peut-être, aussi. Dans un geste désespéré, elle s’empara du tisonnier encore plongé dans les braises mourantes. Elle était une jeune fille à l’apparence de princesse, n’était son teint brun et mat que renforçaient ses cheveux blancs. Son corps était frêle puisque n’avait jamais été rôdé aux tâches de la ferme et du labeur. Si ses parents ne la contraignaient pas encore à pratiquer la démonologie, ils ne l’avaient jamais forcé non plus à travailler comme employée de ferme. Elle ne savait si elle devait leur être reconnaissante pour ça, ou pas. La question qui lui trottait dans la tête, ce soir-là, c’était de savoir si un tisonnier tenu par un bras aussi mal assuré que le sien pouvait sauver quoique ce fût.

Elle approcha de la porte, tout doucement, à pas feutrés. Juste de l’autre côté, tout un groupe de personnes peu discret semblait converser. Le ton était agité mais Zeelig ne comprenait rien de ce qui se tramait. Elle demeura là et leva le tisonnier haut au-dessus d’elle. Ses muscles tremblaient, ses nerfs étaient noyés d’adrénaline et sa bouche serrée se réduisait à une fente aussi mince qu’un fil blanc. Quand le loquet de la porte sauta et que celle-ci commença à s’ouvrir, Zeelig était toujours dans la même position, à ceci près qu’elle avait maintenant l’horrible et parfaite certitude qu’elle demeurerait ainsi figée jusqu’à ce que l’intrus, qui s’immisçait maintenant à l’intérieur, la frappât à mort. Elle sut finalement qu’elle ne s’était pas pétrifiée quand le tisonnier s’abattit en plein milieu du crâne du cambrioleur avec une force insoupçonnée. L’os émit un bruit étrange, presque drôle, pensa-t-elle sur le moment, un peu comme lorsqu’on marche sur un gros escargot, par inadvertance. Zeelig contempla l’homme et l’homme la contempla pendant ce qui parut être une éternité puis son corps abandonné de toute vie finit par s’effondrer au sol. Son esprit dont l’angle de perception s’était fait si aigu qu’elle avait été sourde et aveugle, pendant un court instant, à tout ce qui se passait au dehors, commença à discerner de nouveau la réalité qui lui faisait face. Les compagnons de l’intrus n’avaient plus l’air aussi enjoué qu’auparavant. Ils ignoraient tout de l’identité de la meurtrière et pouvaient tout aussi bien découvrir dans la pénombre de la maisonnée un colosse de deux mètres de haut, armé de tout un carquois de tisonniers prêts à défoncer autant de crânes que nécessaire. Toute la troupe, là au dehors, avait maintenant tendance à s’éloigner du seuil et s’écartait pour laisser la place à quelqu’un d’autre qui était resté à distance respectable jusque là. Le silence se fit parmi les brigands et Zeelig put entendre l’étrange personnage marmonner dans sa barbe noire et coupée en pointe. Ses yeux noirs se mirent à refléter les flammèches qui dansaient entre ses paumes. Zeelig ouvrit deux grands yeux hagards, tout à coup saisie par la certitude de mourir brûlée dans l’instant sous les assauts d’un mage. Elle n’eut pas le temps d’imaginer sa fin plus en détails ni de se demander pourquoi diable un mage venait jusque chez elle au beau milieu de la nuit, escorté de toutes ces brutes épaisses. Un éclair de feu jaillit des mains du mage et fusait en direction de la maison. Vingt petits mètres séparait l’attaque de la jeune fille. Les sens en alerte, Zeelig percevait son environnement comme si tout allait au ralenti. Le feu magique était presque sur elle, illuminant alors l’intérieur de la pièce d’un rouge vif et puissant. Le rugissement du feu était assourdissant. Il roulait comme une avalanche dans les montagnes, comme des rochers au fond du lit d’un torrent. Alors qu’elle se croyait déjà perdue, et pour le coup tout à fait pétrifiée, cette fois-ci, elle entendit un son cristallin, limpide et claire, si agréable à l’oreille qu’elle se crut déjà en un lieu au-delà de la mort. Le rouge infernal qui irradiait dans la pièce céda la place à un bleu aussi froid que le berceau de l’hiver. Un trait de glace acéré vint exploser contre la boule de feu. Les deux s’anéantirent dans une explosion de flammes glacées et de vapeurs d’eau, laissant la jeune femme sur le séant et tout ébouriffée. Elle vit la surprise sur le visage du mage. Peut-être pensait-il que le trait de glace venait d’elle. Peut-être même était-ce le cas ? Peut-être que c’était la vocation de magicienne qui l’attendait, non celle de démoniste. Mais ce rêve fugace s’éloigna de son esprit à tire d’aile en même temps que d’autres sorts tombaient du ciel. Des rugissements sinistres firent vibrer l’air, comme si les mille orages auxquels les Paluns avaient échappé en quatre mois éclataient tous en même temps, juste au dessus de la tête de l’agresseur. La lumière de la lune, des étoiles et des torches fut absorbé et réduite à néant dans une zone, toute autour du mage. Le sol parut animé d’une volonté propre et ce fut un peu comme s’il dévorait les agresseurs tandis que des traits d’ombre les achevaient tous, un à un, dans un déluge de magie démoniaque. Zeelig perdit connaissance.



L’incident, au lendemain matin, paraissait bien distant, presque irréel, comme le reliquat d’un rêve qui s’effiloche au réveil, en moins de temps qu’il n’en faut pour essayer de le rattraper. Zeelig n’avait rien de moins envie que d’oublier ça. Voir, ou plutôt deviner de quelle façon ses parents avaient annihilé toute la bande d’agresseurs, mage y compris, était une pensée des plus effrayantes. Une chose cependant l’inquiétait sinon davantage, au moins autant : il s’agissait de savoir ce que ce mage était venu chercher ici. Elle n’osa pas le demander à ses parents, pas plus qu’elle n’osait demander quoique ce soit relativement à l’attaque de cette nuit-là. L’incident était passé et c’était comme s’il appartenait déjà à un passé lointain et oublié. Au fil du temps, Zeelig en vint à se demander ce que ses parents pouvaient bien avoir à cacher de si précieux.



Elle le sut lorsqu’ils périrent, l’année suivante, en tentant de la sauver.

Le drame se déroula, tout du moins au début, d’une manière sournoisement similaire à celle dont s’était passée la première attaque du mage. Cette fois-ci, cependant, Zeelig était profondément endormie et ce furent ses parents qui repérèrent les intrus. La première chose dont se souvint la démoniste fut le visage de sa mère, vide de toute vie, de toute expression, de toute émotion autre que la néantité la plus absolue, comme si, derrière ce visage, un tourbillon de chaos avait déjà tout décimé.

« Réveille-toi, mon enfant, réveille-toi, vite ! » chuchotait-elle en secouant sa fille nerveusement. Simplement en voyant ce regard vide, Zeelig comprit la gravité de la situation. C’était comme si sa mère était déjà morte, comme si elle-même n’était déjà plus qu’un cadavre refroidissant, comme si le monde en était déjà à sa fin. Zeelig se leva en précipitation, dans sa tenue de nuit et suivit sa mère qui était déjà en train de préparer un sac au contenu mystérieux. Thomas, lui, ne semblait pas être là. Une fois prête, à peine plus de trente secondes plus tard, Julie attrapa la main de sa fille et l’entraîna hors de la maison. C’est en passant sur le côté de la masure que Zeelig vit la menace qui planait sur eux.

A une centaine de mètres d’eux, vers le nord, une décade de maîtres de magie avançaient en ligne dans leur direction, presque au pas de course. Ils invoquaient et incantaient autant qu’il leur était possible de le faire tout en se ruant sur la famille de démonistes. Des lueurs rouge, oranges et violettes montaient de l’horizon et des ombres zébrés d’éclairs jaillissaient des nuages comme des rapaces et fondaient en direction des fuyards. Zeelig, Thomas et Julie couraient comme si l’enfer était derrière eux. En l’espèce, c’était effectivement quelque chose de diablement proche qui leur courait après. Jamais Zeelig n’avait couru aussi vite. Ses pieds nus étaient lacérés par les brins d’herbe coupante, ses poumons étaient deux brasiers et sa vue était troublée par la douleur qui pulsait à ses tempes. Son cœur semblait bien près d’exploser littéralement en sortant de sa cage thoracique. Elle n’aurait même pas pu tourner la tête vers la gauche pour voir les démons à ses trousses, pour peu qu’elle en eut la volonté. Elle ne pouvait qu’entendre les grondements qui semblaient provenir des sous-sols du monde et dont les vibrations venaient résonner jusque dans ses os. Elle aurait aimé trouvé quelque réconfort dans l’assurance de ses parents mais ceux-ci se considéraient comme déjà condamnés et n’avaient rien de positif à offrir à leur enfant, hormis la main tendue vers elle pour qu’elle ne se laisse pas distancer. La lisière de la forêt était toute proche. Malheureusement, les assaillants l’étaient tout autant. Leur rage, leur haine et leur déluge de feu, de glace, d’ombre et d’arcane dévoraient tout autour d’eux, comme un raz-de-marée magique. Au moment où la famille de démonistes s’engouffra sous la frondaison des arbres, ceux-ci s’enflammèrent si brutalement qu’ils eurent l’air d’exploser et le feu se propagea presque aussi vite que les fugitifs.

La course dans le sous-bois anéantit les dernières forces de la fragile Zeelig. Elle était couverte de sang des pieds à la tête, lacérée de toutes parts par les branches et la végétation luxuriante. Ils arrivèrent rapidement dans une clairière au milieu de laquelle trônait le hangar où les parents de Zeelig avaient passé l’essentiel de leur temps, ces six dernières années. Ils s’y précipitèrent pour se cacher alors que le chaos continuait d’avancer derrière eux.



Quand les assaillants furent arrivés sur les lieux, moins de cinq minutes plus tard, ils s’arrêtèrent net et leur surprise fut telle que leur déluge de magie en fut grandement atténué. Ils firent halte comme un seul homme et contemplèrent la structure. Quelque chose émanait d’elle. « Quelque chose » était le terme le plus précis qu’ils aient pu donner à ce qu’ils ressentaient. Quoiqu’ait pu être cette chose, toute leur magie combinée paraissait comme une étincelle à côté du brasier que cachait l’entrepôt. Les murs faits de planches s’ébrouèrent, se réveillèrent et l’ensemble fut agité d’un tel tremblement que tous les pans de murs s’effondrèrent un à un, ainsi que le toit, si bien qu’en quelques temps, on ne voyait plus qu’un tas de planches par terre et l’objet qu’abritait le hangar était maintenant tout à fait découvert. Les mages ne bougeaient pas, sentant qu’ils ne maitrisaient ni la situation, ni les forces en présence.



C’était là un bien beau navire, d’une fort belle dimension, admirablement assemblé et qui présentait la particularité de flotter à environ un mètre au-dessus du sol. L’on vit une échelle de corde disparaître derrière la balustrade, tirée sur le pont par le dernier à être monté à bord.

Sur le pont, là où se trouvait la barre, Julie se tenait comme un capitaine. Elle fit passer son sac au sol, délicatement, et en sortit quatre sphères de cristal, chacune contenant un liquide d’une teinture différente : émeraude, saphir, turquoise et or. Elle les manipulait avec toute la délicatesse qu’elle pouvait leur accorder dans une situation aussi urgente. Elle les plaça sous la barre de navigation, sur quatre structures de cuivre parfaitement adaptées à leur taille. Thomas sortit de sa besace un objet ressemblant à une longue aiguille d’or qui était en fait une clé. Il l’inséra dans un orifice minuscule près des sphères et aussitôt, celles-ci se vidèrent de leur contenu respetif. Les liquides circulèrent dans un vaste réseau de tubes de verre qui sillonnaient la coque extérieure du navire comme des veines. Ils diffusaient une multitude de couleurs dans toute la clairière et donnaient au navire l’impression d’être un corps vivant doté d’un cœur qui battait. En haut du mât principal, tout au sommet de la vigie, une vive lumière, plus forte encore que le soleil, explosa et éclaira la forêt toute entière d’une lueur blanche comme la neige, immaculée et parfaite.

Les mages restés au sol se décidèrent à agir, maintenant ou jamais. Ils voyaient bien que la famille tentait de prendre la fuite avec cet objet, cet artéfact si précieux et bâti avec tant de souffrances et de détermination. Ils avaient été nombreux à le convoiter. Ils savaient que sa force était grande et que celui qui viendrait à posséder le Voyageur serait maître des cieux. La nature de cette nef céleste aurait pu donner naissance par la suite à toute une armada de navires volants. Ce soir-là, ils l’avaient devant les yeux. Il était tout proche. Et tout proche de disparaître une fois pour toute. Alors ils lancèrent un assaut magique et tentèrent d’abattre le bateau. Une vague de ténèbres, lourde, pesante, s’éleva au-dessus du Voyageur et déferla sur le pont pour rabaisser sa structure et le faire revenir au sol. La première tentative fut vaine. Le Voyageur ressortit indemne de ces flots mystiques. Mêlant leur rage à leur pouvoir, les mages produisirent une magie bien plus terrifiante et efficace. Ce n’était plus une vague qui venait à l’assaut du bâtiment, c’était un étau, une enclume et un marteau, une presse qui réduirait tout en pièces. Une masse était en approche, de part et d'autre du bâtiment volant, d’une densité telle que si elle percutait le navire, on ne retrouverait que des brindilles pas plus grosses que des allumettes. Julie et Thomas se lancèrent corps et âme dans la défense de leur construction, de leur bijou. Ils se projetèrent par-dessus bord, chacun d’un côté, et ils disparurent dans les nuages d’ombre et d’arcanes qui fondaient sur eux. Zeelig n’eut qu’à moitié conscience du sacrifice qui venait de se dérouler sous ses yeux. Quand elle comprit, elle retrouva ses esprits et voulut partir à la poursuite de sa mère, comme si elle avait pu la ramener de ce déchaînement de tempête arcanique. Elle se pencha par-dessus bord, prête à tomber et tendit la main dans un geste aussi ultime que vain, hurlant le nom de sa mère sans même entendre sa propre voix perdue dans le tonnerre . Les deux masses d’assaut furent parcourues d’éclairs par centaines et Zeelig voyait en transparence, dans leur intérieur, sa mère se débattre avec d’invisibles ennemis, comme si la tornade arcanique était constituée d’entités démoniaques prêtes à en découdre avec la maîtresse démoniste. Les éclairs devinrent zébrures, les zébrures, des fissures et les montagnes de ténèbres s’effondrèrent sous leur propre poids, chutant vers le sol et dévastant avec elle une vaste surface de la forêt, et par la même occasion emportant vers l’autre monde la décade de mages. Le souffle d’agonie monta vers les cieux et souleva le navire qui prenait la direction du Sud. Zeelig n’avait plus conscience de rien. La douleur, tant physique que mentale, avait eut raison d’elle et elle s’effondra sur le pont de bois, laissant le bâtiment étirer ses voiles aussi translucides que les ailes d’une libellule et la porter au-dessus de Dun Morogh. Les vapeurs bouillantes de la Gorge des Vents Brûlants et des Steppes Ardentes le firent s’élever davantage encore mais Zeelig n’était plus dans le même monde. Le Voyageur passait dans les cieux, sans capitaine. Il n’en avait nul besoin.



Quand Zeelig revint à elle, elle était sur une berge, trempée jusqu’aux os et elle trouva qu’il faisait bien plus chaud que d’habitude. Ses vêtements étaient en piteux état. Son corps tout autant mais elle se sentait reposée et agitée d’une force nouvelle, moins intrépide qu’auparavant mais plus solidement ancrée en elle, plus stable, inébranlable. Elle se leva, faisant hurler chacun de ses muscles et de ses nerfs, la moindre de ses articulations. Elle ne vit pas trace du Voyageur, ni dans les cieux, ni dans le lac au bord duquel elle avait elle-même échoué ; elle ne vit même pas ses éventuels restes déchiquetés par un crash probable. Elle crut distinguer quelques habitations, au sud ouest, sous les arbres, et tenta de les rallier, à son rythme.

Quelques heures plus tard, elle était en vue de Comté du Nord et n’avait d’autres choix que de recommencer une vie.

Et la voie de la démonologie lui paraissait soudainement tout indiquée.
Zeelig
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